Le dernier acte notarial concernant la propriété de nos parents que nous avons vendu ce mois-ci, nous demandait des signatures et un chèque de un Euro symbolique, et cela pour le jour même.
Un acte notarial intéressant pour l’anecdote : il y a plusieurs années de cela, nous avions découvert qu’un chemin communal passait devant notre porte et traversait notre propriété de part en part. Côté Ouest il traversait le parc pour rejoindre un autre chemin de terre plus bas, et à l’Est ce chemin passait devant les hangars avec l’atelier et la cave et puis tournait en angle droit après le grand pin parasol pour descendre sur la communale en bas en face de la ferme Buratti.
Ce que nous appelions « le parc » n’était autre que ce chemin planté de part et d’autre de chênes, pins parasol et cèdres plus que bicentenaires et sur une centaine de mètres qu’une haie sauvage et épaisse avait fermé. (La photo ci-dessus de trois de ces chênes que j’appelais affectueusement les trois sœurs…) Au fond du parc les vestiges d’une modeste demeure de commis avec son poulailler et son four à pain avaient disparu quand les parents les avaient jugés dangereux pour nous jeunes enfants.
Quand François avait soumis l’idée que ce chemin pouvait être l’ancêtre d’une route empruntée par les calèches de l’époque puisque la maison date de 1786, cette idée m’avait séduite.
Cette imposante maison protestante de la fin du XVIIIème avec ses têtes de lion en terre cuites au-dessus de certaines portes et fenêtres, assise sur une hauteur surplombant la plaine face au nord, et dominant la vallée de l’Aveyron était une des plus importantes de la région. Derrière la maison le pigeonnier et les étables datant de 1603 indice d’un passé jadis opulent, offraient outre un service postal, mais aussi de la viande de pigeon et un engrais exceptionnel, essentiel pour les vignes, source de revenus considérables à cette époque.
On peut imaginer cette fin du XVIIIème : les protestants sont maintenant protégés par l’Edit de Tolérance signé par Louis XVI qui leur accorde un état civil et l’assurance du droit d’exister sans être persécutés. Ils ont maintenant droit à leur culte à une condition : que leur lieu de culte ne ressemble en rien à des églises catholiques.
J’aime à penser qu’ils aient alors créent un centre ici pour leur culte comprenant cette maison et ces immenses granges en torchis de plus de 13 ou 14 mètres de haut jusqu’à la faîtière, avec ces magnifiques arches en briques visibles de si loin. Se pourrait-il que leur visibilité désirée et immanquable fût une sorte de panneau publicitaire ?
Éric pense que ces granges gigantesques étaient pour le seul usage de la vigne et la fabrication du vin. Pourtant certains détails sur ces granges indiquent un usage diffèrent mais lequel ? D’abord dans deux de ces arches les planchers sont toujours là. Dans les 2 autres arches il reste les trous des chevrons qui soutenaient des planchers et dans lesquels les canes sauvages venaient pondre au printemps.
A l’Est une porte centrale a été rebouchée et les fenêtres béantes ont été conquises par le lierre et les passereaux mais les briques de ses pourtours sont toujours intactes. De même côte Ouest : des encadrures de fenêtres de chaque côté d’une porte toujours visible, et nulle part une fissure …. Nulle part une faiblesse dans ces bâtiments en torchis vieux de plus de 240 ans.
Au début des années 2000 Maman avait donné un accord verbal à la mairie pour un nouveau chemin en limite de notre propriété en échange de celui qui passait devant notre porte. La mairie avait alors fait le nécessaire pour que ce nouveau chemin soit aménagé mais aucunes signatures avaient été échangées. Depuis, on voyait souvent des promeneurs passer les dimanches et jours fériés en bordure de notre propriété.
Il fallait donc mettre à jour cette situation pour la vente de notre maison.
Pour les procurations en ligne pas de soucis bien qu’il nous faille la signature du maire apposée à la nôtre.
Mais pour cet euro, je m’étais proposée de m’en occuper, pensant faire un versement bancaire : étant donné les 40 kilomètres entre nous et le bureau du notaire, un transfert me semblait chose bien banale.
Et bien, non. Le transfert fut refusé sans aucune explication ou excuse de ma conseillère au Crédit Agricole.
Pour le maire, les choses ont été plus faciles : un coup de téléphone : Gilles j’ai besoin de toi, tu es occupé ? oui, mais je t’écoute. J’ai besoin du tampon de la mairie et de ta signature. Et bien passe à la mairie pour le tampon, demande à Nathalie et descend à la boulangerie, je te signerai ton document. Il était 11h50. J’étais de retour à 12h20.
Mais revenons à notre chemin. La date 1786 inscrite en fer forgé au-dessus de la grosse porte d’entrée en chêne avec les initiales JC (Jésus Christ) me rendait si fière quand j’étais gamine parce que les initiales étaient celle de notre père. Je pensais donc qu’on était très connus et donc très riches. Et quand un dimanche un jeune garçon en vélo avec 5 Francs dans la poche pour visiter le château est arrivé devant notre porte, les parents avaient tant ri.
Quand Papa prospectait la région avec Marc au retour d’Algérie et avait trouvé cette maison, elle avait alors devant l’esplanade une belle balustrade en terre cuite, typique du XVIII comme celle de Grange-Haute disait Papa à maman dans une lettre. Il y avait 10 vaches et un cheval de labour, Péchard. Mais quand nous sommes arrivés sur place quelques mois plus tard, plus de balustrade : les vaches s’étant échappées un jour, elles avaient tout cassé. La déception de maman fut cruelle.
Or s’il y avait une balustrade 10 mètres devant la maison, est-ce possible qu’une route passe là devant la porte ? De nos jours ce serait impensable, mais à l’époque ?
Était-ce un lieu de culte protestant ?
Une question si intéressante ….sans réponse bien sûr.