Maman est décédée d’un infarctus le 12 novembre dernier.
Elle qui était si fière de sa santé : A 87 ans, pas un médicament, pas de problème majeur, rien. Elle était toujours bien droite, grande et mince, prenant soin de son poids discrètement, comme elle faisait de ses amies, et ignorante de cette aorte bouchée qui lui fut fatale.
Elle conduisait sa voiture, faisait sa piscine, marchait, réunissait ses amis toutes les semaines pour un jeu de bridge qui était devenu un jeu de bataille….C’est pas grave disait-elle, on est ensemble c’est l’essentiel.
Ses dernières années le jeudi midi elle venait déjeuner chez nous après sa piscine. Quand elle avait un coup de cafard de temps en temps elle venait aussi pour un long weekend. « Tu es mon havre » me disait-elle, « je suis si bien chez toi » et cela malgré nos prises de tête toutes les deux et souvent.
Elle n’aurait jamais voulu être à notre charge et finir sa vie dans un fauteuil. Elle y a réussi.
Mais c’est toujours trop tôt pour ceux qui restent.
On a nettoyé les alentours avec les frères et sœurs disponibles et quelques conjoints, et vidé sa maison qui va être mise en vente en fin de semaine prochaine. Une grande maison de maître de la fin du XVIIIème qui a connu de meilleurs jours, entourée de vieux chênes maintenant malades, sur une colline qui surplombe la plaine face au nord-ouest. Les soirs d’été du temps de Mamie, on dinait sous le chêne sur la terrace devant la maison en contemplant les couchers de soleil spectaculaires.
En arrière-plan et attenant à la maison un joli pigeonnier et des étables, la plus vieille partie avec une date sur la pierre de soutient de la petite porte étroite: 1603.
A la gauche de la maison quand on monte le chemin qui y accède, se dressent fiers des immenses hangars en torchis avec leurs quatre arches magnifiques, belle architecture si typique de la région, toujours en très bon état. Dans l’un d’eux papa avait sa cave à vin, avec les récoltes de grains au-dessus. Dans un autre il avait son atelier avec à l’étage la réserve de cageots à fruits. Dans le dernier il y avait de la paille je me souviens. Sous le deuxième hangar on triait les fruits l’été avec les cousins et rangeait du matériel agricole le reste de l’année. Dans les trous des murs laissés par des poutres d’un étage disparu, des cannes sauvages venaient pondre au printemps. Quand les cannetons naissaient elles les appelaient d’en bas et ils sautaient les quelques mètres qui les séparaient de leurs mères et de la mare…petites boules jaunes qui nous ravissaient….
Le nettoyage s’est fait en 10 jours, un travail de titans. 4 bennes de camion de 15 m3 chacune (plus 2 encore avec les hangars plus tard) et beaucoup de sueur…..beaucoup d’émotions aussi, et pas forcément les plus jolies. Pour les meubles, la vaisselle, les quelques bijoux de maman et tous ses objets qui ont peuplé notre enfance, sans aucune valeur autre que dans notre imagination, on a fait la courte-paille. Du rire, de la légèreté parfois. Mais aussi de la colère, de la jalousie, de la méchanceté….. C’était sous-jacent, sournois. La gentillesse était vite allée s’enfouir sous les ronces et la tendresse avait du être balancée dans une benne.
Est-ce vraiment possible de vivre ces moments-là paisiblement quand nos rivalités d’enfants, cachées à nos consciences d’adultes mais sauvegardées silencieusement au fil des années, nous remontent au nez comme la moutarde ?
On en ressort épuisés, vidés, meurtris….Maman voulait tant qu’on reste soudés. « Tu es la seule qui saura faire ça avec tes frères et sœurs ». Je ne lui répondais pas, je savais que je n’en avais pas la générosité. La généreuse c’était elle. Et une vraie généreuse elle était, avec sa spontanéité et sans calcul jamais. C’est elle qui faisait le lien entre nous, légère souvent, soucieuse quelques-fois, altruiste toujours. Elle adorait le téléphone et il le lui rendait, elle y passait des heures.
Pour cette semaine passée dans sa maison, notre maison, je l’ai priée d’être avec nous, elle et papa pour nous aider. Il y a eu des moments partagés forts entre nous, et puis très vite ils ont été pourris par des mots durs, petits et bêtes. Moi dans ma tête j’avais la voix de maman souriante, émerveillée « mes enfants ! Quel travail ! ». J’étais fière de nous tous pour elle, mais il n’y avait pas d’oreilles pour partager ça. La fatigue de ces journées de poussière, de sueur, et de saleté nous avait bouffé le cœur.
Il faut maintenant prendre du recul, tourner cette page et laisser faire le temps. Puis il va falloir se réinventer une fratrie sans maman. Saurons-nous seulement ?