Il était né au printemps dans la salle à manger avec les 7 autres. C’était le plus gros œuf et le premier à éclore. Il avait mis 24h à pousser sa coquille et nous étions attentifs à chaque coup de bec. Ce n’était pas la première fois que des poussins naissaient chez nous mais chaque fois, c’était l’émerveillement, les miracles de Mère Nature. Un gros poussin tout blanc avec des pates roses et des griffes toutes fines, parfaites, et qui piaillait enfin libéré.
Il est devenu un spécimen magnifique, grand et élégant mais beaucoup trop agressif malheureusement. Il ne fait que son travail de chef, il protège ses poules, me dit Geoff. Je sais mais je n’en peux plus. Parce qu’il semblait s’être calmé, je pensais qu’il avait compris. J’avais même dit à Barbara qui m’offrait un de leurs coqs, que non, nous allions garder le nôtre.
Jusqu’au matin quand je me suis faite prendre par surprise. Avec ses plumes bien gonflées qu’il en avait doublé de volume, le cou allongé, la tête en avant et le bec ouvert, il s’apprêtais à m’attaquer par derrière. J’ai hurlé. Mon premier coup de botte, mode survie, ne l’a pas impressionné mais après plusieurs coups il a fait demi-tour.
Il a donc rejoint son copain dans l’enclos derrière les brebis. Je suis allée le chercher un soir à la tombée de la nuit, il n’a pas eu le temps de s’offusquer. Il s’est retrouvé la tête en bas, les pattes bien maintenues dans ma paume gauche, la droite tenant mon portable et offrant la lumière nécessaire pour ne pas trébucher. Sans cri, sans drame.
Et hop ! il s’est retrouvé face à face avec celui qui, il y a quelques mois de cela, était encore son frère. Mais ce frère-là n’a pas du tout aimé l’arrivée de cet intrus ….même au clair de lune et à peine visible il était prêt à se battre…je suis rentrée sans me retourner, coupable mais résolue.
Il y a maintenant un autre magnifique coq à la tête du poulailler. Il est calme et gentil, et m’accueille comme les poules, excité de voir ce que je lui apporte dans mon panier. Quand je rentre dans le poulailler maintenant je n’ai plus d’appréhension. Plus besoin de marcher à reculons. Quel soulagement !
Barbara me l’avait dit, il vient d’une race très tranquille. Je l’avais bien vu chez elle la semaine dernière : les chiens et les chats, les oies et les jars, les canes et les canards, les poules et les coqs, tous en liberté et paisibles autour de la maison avec les deux petits au milieu qui jouaient assis dans les graviers. J’avais été impressionnée et envieuse de la sérénité de cette scène.
Le lendemain j’ai vu les deux coqs en bas et c’était terrible. Notre magnifique coq blanc, le cou plein de sang près de la crête, toute son arrogance évaporée bien sûr, était blotti dans un coin, la queue pendante, absolument terrifié. Ma culpabilité m’a déchirée. Mais que faire ?
Deux jours plus tard, plus aucune trace de sang sur le beau plumage. Plus d’agressivité non plus entre les deux frères quand je suis rentrée dans leur enclos, seulement chacun gardant ses distances.
Et ce matin c’est enfin la paix. Quand j’ouvre leur porte il est à deux pas de moi, j’ai l’impression de rêver : Il ne me craint pas mais il ne m’affronte pas non plus. Nous sommes tous les deux-là, à nous regarder sans rien d’autre que de la curiosité. Quand je dépose les graines dans la mangeoire ils y viennent manger tous les deux côte-à-côte comme si de rien n’était.
Ce n’est plus lui qui chante maintenant. C’est moi.